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La testostérone : indicateur qui assure le principe d’équité dans le sport de haut niveau ? > La remise en cause de la testostérone comme critère de justice dans la distinction de performance « masculine » et « féminine »

La remise en cause de la testostérone comme critère de justice dans la distinction de performance « masculine » et « féminine »

Le président de l’IAAF, Sebastian Coe, indique que la responsabilité de l’instance est “d’assurer un niveau de jeu égal aux athlètes”. Le choix de catégorisation hommes / femmes pour les compétitions implique donc de définir des critères clairs de distinction. Selon lui, le sport doit rester “déterminé par le talent, le dévouement et le fait de travailler dur plus que sur d’autres facteurs qui y contribuent”. Sauf que deux êtres humains, quel que soit leur sexe, ne seront jamais absolument comparables. Les variables naturelles sont telles qu’un système parfaitement équitable est inatteignable. C’est ce que l’on constate avec les athlètes hyperandrogènes.

 

L’hyperandrogénie est une caractéristique naturelle bien différente du dopage. Ces taux élevés d’androgènes sont le résultat d’un phénomène endogène. L’IAAF souhaite tout de même réguler leur accès à la compétition pour la préservation de la notion d’équité dans la compétition. Pourtant, on en vient à se demander s'il n’existe pas d’autres cas où les caractéristiques biologiques des athlètes présentent des avantages pour la compétition. En effet, de nombreux autres atouts physiques et biologiques interviennent dans les compétitions sportives, sans pour autant être remis en question ou sanctionnés. Une grande taille pour le saut à la perche ou le basket, de grands pieds pour la natation, des caractéristiques cardiaques avantageuses sont autant d’atouts marquant une différence entre les athlètes. Même les origines ethniques entraînent des variations biologiques et physiologiques qui peuvent être avantageuses dans le milieu sportif. Le docteur Linh Vu-Ngoc, médecin du sport à la Fédération Française du Triathlon, explique : “les sportifs noirs ont plus de fibres courtes, ce qui les rends meilleurs dans le sprint, tandis les caucasiens, ont plus de fibres lentes et sont meilleurs en endurance et en marathon”, pourtant aucune distinction n’est faite lors des compétitions. Aussi, lors de la controverse par rapport à Caster Semenya en 2018, la scientifique canadienne spécialisée en gériatrie Cara Tannenbaum et la chercheuse sud-africaine Sheree Bekker témoignent leur désaccord avec le règlement de l’IAAF. Elles écrivent dans un article intitulé « Sex, gender and sports » [50] qu’interdire la compétition aux athlètes hyperandrogènes revient à interdire aux basketteurs anormalement grands de concourir. Aussi, elles préviennent de la dangerosité de ces règlements et des questions qu’ils soulèvent. Elles citent par exemple le cas du coureur Usain Bolt. Coureur le plus rapide du monde il a remporté 8 médailles d’or aux Jeux Olympiques et 11 aux Championnats du monde dans la discipline du 100m. Certains s’interrogent, aurait-il un corps parfait pour l’athlétisme ? On lit notamment dans le Figaro une supposition : le sprinteur disposerait de fibres musculaires avantageuses ainsi qu’une ossature de grande envergure qui lui permet alors d’effectuer de grandes foulées et de courir plus vite [51]. Alors que de nombreux chercheurs s’attardent à analyser les performances d’Usain Bolt, comme le chercheur Jorge Hernandez et son équipe de l’Université de Mexico, qui calculent par exemple la vitesse maximale par seconde de l’athlète et l’impact de la résistance de l’air sur le coureur [52].

 

Pourtant, si les instances sportives, notamment l’IAAF, souhaitent garantir l’équité entre les athlètes et imposent pour ce faire aux athlètes hyperandrogènes de respecter des quotas (de testostérone dans ce cas), ne devraient-elles pas calculer les avantages d’athlètes tels que Usain Bolt ? Pourquoi ne considérer uniquement les avantages comparatifs des athlètes hyperandrogènes ? Roxana Maracineanu, ministre des sports s’interroge. Elle affirme d’ailleurs son soutien aux athlètes hyperandrogènes et déclare “C’est insupportable, je ne comprends pas d’un point de vue de sportive, pourquoi dans des catégories d’hommes, des hommes comme Usain Bolt, Michael Phelps, Ian Thorpe et d'autres ont la possibilité de dominer leur catégorie et pourquoi dans une catégorie féminine, des femmes n’ont pas le droit de dominer dans leur catégorie, pendant des années” [53]. En effet, Michael Phelps est le sportif le plus titré de l’histoire des jeux olympiques avec 23 médailles d’or remportées entre 2004 et 20016. L’athlète semble imbattable et son corps est désigné de « parfait » pour la nage. En effet, le nageur dispose d’une longueur de torse et d’une envergure de bras (2mètres) anormalement grandes et disproportionnées par rapport à sa taille d’1m93. Aussi, ses pieds d’une taille de 49,5cm sont exceptionnellement longs et on observe une certaine hyper-flexibilité des chevilles et des poignets de l’athlète. Ces attributs sont particulièrement utiles pour la nage, ses membres lui permettant de se propulser plus facilement, et son torse de glisser telle une planche. Enfin, on a détecté chez Michael Phelps une sous production d’acide lactique par rapport à la moyenne lui permettant ainsi de récupérer plus facilement [54].

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Ainsi, pour Usain Bolt comme pour Michael Phelps, on observe des caractéristiques génétiques innées leurs procurant des avantages dans leurs disciplines respectives. Ne pourrait-on pas comparer ce phénomène à celui des athlètes hyperandrogènes ? Pourquoi l’IAAF et les instances sportives ne s’interrogent pas davantage sur ces athlètes qui semblent pourtant perturber le principe d’équité dans leurs disciplines sportives ? Pourquoi certaines dispositions considérées comme naturelles posent problème dans certaines circonstances et d'autres non ?

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Pour contraster le raisonnement, il est également intéressant de prendre la cas du sport de haut-niveau pour les athlètes en situation de handicap. Alors que dans les développements ci-dessus, il s’agissait de comprendre que l’équité n’était pas forcément questionnée par les instances internationales dans certaines situations, voilà une situation inverse où les instances ont su réinventer leur définition de « l’équité sportive » pour prendre en charge une variété de situation.

 

Les premiers Jeux Paralympiques ont eu lieu en 1960 à Rome une semaine après les Jeux Olympiques d’été. Aujourd’hui une vingtaine de disciplines sont représentées aux jeux paralympiques dont la natation ou l’athlétisme. En natation par exemple les athlètes sont classés en fonction de leur handicap dans des catégories allant de 1 à 13 (1 étant le handicap le plus fort). On remarque alors que les instances sportives ont su s’adapter afin de faire face aux changements sociétaux. Afin d’aller vers une compétition plus inclusive et représentative de la population elles ont alors adapté le règlement afin d’inclure les athlètes présentant un handicap. Elles ont notamment dû s’interroger sur le principe d’équité parmis les athlètes handicapés. En effet, comment comparer et évaluer les handicap ? Pourtant les instances ont su adapter les catégories sportives en créant de nouvelles catégories allant de 1 à 13 et permettant de faire concourir les athlètes handicapés le plus équitablement possible. 

 

Au fil, du temps l’IAAF est confrontée à de nouveaux questionnements. En effet, le 14 janvier 2008, l’instance interdit au sprinteur amputé des deux jambes Oscar Pistorius de concourir dans la catégorie des valides. Elle estime alors que ses prothèses lui donnent un avantage sur les athlètes valides [55]. Cette décision intervient suite à un rapport établi par le professeur Peter Brügemann de l'Institut de biomécanique de l'université de Cologne, qui stipule que les prothèses en fibre de carbone représentent une aide technique. L’IAAF selon la règle 144,2 de son règlement stipulant que "l'utilisation de tout dispositif technique incluant des ressorts, des rouages ou tout autre élément qui confère un avantage à un athlète par rapport à celui qui n'en utilise pas" interdit alors à Oscar Pistorius de concourir. Le sprinteur fait alors appel devant le Tribunal arbitral du Sport et gagne le droit de concourir à nouveau. En effet, sa défense se base sur une étude d’un professeur du MIT Hugh M. Herr contrant le rapport du professeur Brügemann et affirmant que les prothèses ne représentaient pas un avantage [56]. Il se qualifie et participe alors aux jeux olympiques de 2012 dans la catégorie valide.

 

Ainsi, face à des matériaux toujours plus performants et des technologies toujours plus développées on observe une remise en question du caractère binaire des catégories. L’IAAF s’adapte alors à ces changements et l’on voit des athlètes de la catégorie handisport concourir avec des athlètes valides. Cette tendance va-t-elle se développer d’avantage ? Ce phénomène est intéressant par rapport à notre controverse. En effet, il met en lumière le fait que les catégories ne sont pas figées et qu’elles peuvent évoluer avec l’évolution de la société. La transformation constante de la jurisprudence des instances internationales vis-à-vis de l’handisport montre que les autorités sont capables d’adapter la notion d’équité sportive. Pour le cas des athlètes hyperandrogènes, cela ouvre la possibilité d’envisager des conceptions de l’équité sportive qui ne serait pas prise uniquement au prisme d’une comparaison entre des performances sportives « masculines » et « féminines ». Aussi, on remarque ces dernières années que la binarité des sexes est remise en question notamment avec l'émergence du mouvement “LGBTQIA+” où les individus revendiquent la multitude des identités sexuelles possibles. Cela va t-il permettre aux instances de repenser les catégories sportives “homme”/“femme” afin de prendre en compte la diversité des individus de notre société ? Nous nous interrogerons sur cette question dans une troisième partie de l'analyse de cette controverse. 

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