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La testostérone : un indicateur qui assure le principe d’équité dans le sport de haut niveau ? > Le taux de testostérone, un indicateur sanctionné par les réglementations sportives

Le taux de testostérone, un indicateur sanctionné
par les
réglementations sportives

Les réglementations sportives évoluent en fonction des progrès scientifiques, de l’avancée des connaissances et des cas pratiques qui soulèvent de nouvelles questions lors de leur apparition. Le 1er mai 2019, l’IAAF a publié un rapport pour préciser les nouveaux critères d’éligibilité dans la catégorie féminine pour les athlètes présentant des différences de développement sexuel (DSD), et les nouvelles conditions de participation des athlètes hyperandrogènes aux compétitions sportives internationales. Dorénavant les athlètes féminines présentant un taux de testostérone dans le sang supérieur ou égal à 5 nmol/L doivent le faire baisser pendant au moins 6 mois et le maintenir pour s’aligner sur les « normes » féminines. Les sportives concernées, dont fait partie Caster Semenya, contestent ce règlement.

 

Si le taux de testostérone est au cœur de ce règlement, c’est en partie dû à son historique avec le dopage. Alors que la testostérone est naturellement présente chez l’être humain -avec un taux en moyenne sept à huit fois plus élevé chez l’homme que la femme-, la testostérone exogène, c’est à dire un apport externe en testostérone, constitue un psychostimulant qui augmente le potentiel de motivation des sportifs. Dans cette situation, la testostérone constitue un produit dopant [40]. La testostérone augmente la masse musculaire et l’endurance - car elle stimule les globules rouges. C’est un vieux produits dopant qui date des années 1970 et est encore utilisé aujourd’hui. Contrairement à l’utilisation ponctuelle qu’en font certains sportifs (affaire Landis [41]), celle-ci doit être prise à long cours pour que les effets anabolisants, c’est à dire qui entraîne un accroissement du système musculaire, puissent se cumuler.

 

Concernant le règlement de l’IAAF, les épreuves visées sont les courses de 400 mètres, 400 mètres haies, 800 mètres, 1500 mètres, un mile et toute autre épreuve de course sur des distances comprises entre 400 mètres et un mile (inclus), en course individuelle, en relais ou en épreuve combinée. Afin de se qualifier pour concourir à une épreuve visée dans la catégorie féminine lors d’une Compétition internationale ou pour établir un record du monde, les athlètes concernées doivent remplir chacune des conditions suivantes (appelées “conditions de qualification” par l’IAAF) :

  • Être reconnue officiellement en tant que femme ou intersexe (ou équivalent)

  • Abaisser son taux de testostérone sanguine en‐dessous de 5 nmol/L pendant une période ininterrompue d’au moins six mois (par exemple en utilisant une contraception hormonale) ;

  • Par la suite, maintenir son taux de testostérone sanguine en‐dessous de 5 nmol/L en permanence (qu’elle soit ou non en compétition) aussi longtemps qu’elle souhaite pouvoir se qualifier pour participer aux épreuves visées de compétitions internationales dans la catégorie féminine.

 

Le Tribunal arbitral du Sport a d’abord jugé ce règlement discriminatoire mais l’a finalement autorisé en émettant des réserves [42]. De nombreuses questions juridiques sont soulevées concernant la discrimination, le droit de disposer librement de son corps, le droit à la vie privée voire le respect de la dignité humaine. Les arbitres sportifs considèrent ce règlement discriminatoire mais nécessaire [43], et estiment légale l’application de telles lois en cas de nécessité absolue pour permettre des “compétitions féminines justes”. En droit, il est admis qu’une discrimination peut être appliquée en accord avec le principe d’égalité si elle peut se justifier. Aujourd’hui, de grandes incertitudes planent encore sur ce “droit à la discrimination juste”, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [44] et la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme [45] ouvrent à la discussion sur ce sujet. Le Tribunal fédéral suisse, devant lequel Caster Semenya a fait appel, doit en ce moment juger la validité de ce règlement. Cette autorité doit se présenter sur la légalité d’une discrimination des athlètes par la testostérone. Celle-ci a argué de l’équité sportive en interdisant aux athlètes hyperandrogènes de concourir dans la catégorie féminine.

Cette décision n’a néanmoins pas arrêté les désaccords quant au critère de la testostérone, la fixation de seuil, et les traitements hormonaux qu’il peut impliquer pour « normaliser » des athlètes. On peut lire dans le rapport de l’IAAF accompagnant le règlement : “Il existe un large consensus médical et scientifique, étayé par les données revues par les pairs en la matière, selon lequel les taux sanguins élevés de testostérone endogène des athlètes ayant des DSD sont susceptibles d’améliorer significativement leurs performances sportives. De ce fait, le présent règlement permet à ces athlètes de participer à la compétition dans la catégorie féminine à condition, pour les épreuves dans lesquelles leur différence a la plus grande incidence au vu des données actuelles, de répondre aux Conditions de qualification définies ci‐après.”

 

La réglementation internationale repose notamment sur des études scientifiques à l’image de l’article "Circulating Testosterone as the Hormonal Basis of Sex Differences in Athletic Performance" [14]. Dans celui-ci, les auteurs expliquent que l’augmentation de la testostérone circulante (endogène ou exogène) fournit un avantage physique majeur, continu, cumulatif et durable dans le sport en créant des os plus grands, plus de masse musculaire, plus de force et une circulation plus élevée de l’hémoglobine ainsi que des différences psychologiques et comportementales rendant les femmes incapables de concurrencer avec les hommes dans les sports basés sur l’endurance ou la puissance. Une étude publiée en octobre 2019 dans le British Journal of Sports Medecine [46] indique aussi qu’il existe un effet causal de la testostérone sur les performances dans les sports aérobies d'intensité modérée : on note notamment une augmentation du temps de course avant épuisement. Dans le cas des sports aérobies, l’augmentation du taux de testostérone augmente ainsi les performances physiques et la masse corporelle maigre (c’est à dire le poids total du corps sans la masse grasse de celui-ci). La vitesse maximale aérobie en course augmente également avec l’augmentation du taux de testostérone. Les performances dans les épreuves féminines de courses (demi-fond notamment), puisqu’elle s’appuie sur la voie aérobie, sont donc corrélées au taux de testostérone dans le sang. En revanche, au vu des résultats des autres tests comme celui de Wingate (un test de puissance et de capacité anaérobie), cette étude ne soutient pas un lien causal entre la testostérone et la performance dans les sports anaérobies (plus intenses) comme le saut.

Se pencher sur le contenu d’un article nuance la notion de « consensus scientifique ». La testostérone a des effets localisés sur certains muscles, à certains moments, pour la pratique de certains sports, d’après l’usage de certains tests. De nombreuses incertitudes coexistent dans la littérature scientifique. Elles sont un des moteurs de la controverse à l’étude.

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