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Sexe, genre et test de féminité > Évolution de la réglementation et des tests de féminité

Évolution de la réglementation et des tests de féminité

La considération de la binarité des sexes qui s’appuie sur un modèle classique mais réducteur de la différenciation sexuée n’est donc pas figée, elle a évolué au cours du temps. Le monde sportif y est pour beaucoup dans cette évolution puisqu’il est le terrain approprié de la remise en question de ce qu’est une femme. La réglementation des compétitions sportives au sujet de l’éligibilité des athlètes dans les catégories sexuées repose sur le besoin d’une définition univoque des sexes. Définition qui, on l’a vu, n’a rien d’évident y compris scientifiquement. C’est par le biais de différents types de tests, prétendant déterminer le sexe d’un individu, que l’évolution des critères de différenciation s’est déroulée. Ainsi, parler de l’histoire de la réglementation sportive, revient à parler de l’histoire des tests qui ont justifié la construction de catégories binaires dans le sport. Catégories aujourd’hui mises en difficulté par les cas d’hyperandrogénie. Pour comprendre ces nouvelles interrogations il faut remonter aux deuxièmes Jeux Olympiques modernes. 

 

En effet, dès les deuxièmes Jeux Olympiques modernes en 1900 la catégorie féminine est créée permettant alors aux femmes de concourir. Comme nous l’avons souligné plus  haut, il est établi que les hommes, par leurs hormones, sont avantagés musculairement. Aussi, historiquement et culturellement le corps de la femme était préservé des activités physiques, pour des raisons de standards de beauté ainsi que de maternité. D’ailleurs, dès la Grèce antique, une distinction entre hommes et femmes est faite: les athlètes sont contraints de concourir nus pour éviter toute ambiguïté [24]. Ainsi, alors qu’elles sont admises dans la compétition en 1900, les femmes concourent dans une catégorie différente de celle des hommes. 

 

Les premiers soupçons, concernant le sexe des athlètes féminines, émergent en 1936 aux Jeux Olympiques de Berlin alors que des athlètes concourant dans la catégorie féminine accomplissent des performances particulièrement remarquables [25]. Leurs résultats, se rapprochant de ceux des hommes, ainsi que leur pilosité et muscularité importantes éveillent des soupçons. Dans la discipline du 100 mètres les coureuses américaine Helen Stephens et polonaise Stella Walsh s’accusent de tricherie : elles s’accusent d’être des hommes. Helen Stephens obtient un score de 11.5 secondes au 100 mètres féminin tandis que Stella Walsh perd de deux secondes. Alors qu’à cette époque les tests de féminités n’existent pas encore, on demande aux athlètes de subir une “examination médicale physique”, qu’elles passent avec brio et les accusations en restent là. Pourtant, en 1980, à la mort de Stella Walsh (par balle lors d’un braquage), l’athlète subira une autopsie. Celle-ci révèlera une “ambiguïté génétique”. En effet l’examen révèlera une composition génétique XXY. Aussi, toujours aux JO de 1936, on découvre à l’athlète allemande Dora Ratjen (aussi appelée Heinrich Ratjen) une ambiguité sur son sexe biologique [26]. L’athlète concourt dans la catégorie féminine de la discipline du saut en hauteur aux deuxièmes championnats d'Europe d’athlétisme en 1938 et établit un nouveau record du monde. Soupçonné(e) à cause de sa pilosité importante, elle/il est soumis(e) à une expertise médicale qui révèle un symptôme de micro-pénis, associé à un symptôme d’absence de la formation d’un ou des deux testicules (cryptorchidie). Ainsi, l’athlète est un homme, mais à cause de sa maladie son sexe ressemble à un sexe féminin. La supercherie aurait d’ailleurs pu continuer des années si l’athlète n’avait pas éveillé les soupçons et subit des examens médicaux [27]. On lui retire alors ses titres et il est exclu de la fédération allemande d’athlétisme. Heinrich Ratjen avoue alors avoir été incité par le gouvernement allemand nazi de concourir dans la catégorie féminine. Il avoue néanmoins être soulagé d’avoir révélé son secret [28]. Suite à ces cas aucun test de féminité n’est imposé aux athlètes participant aux compétitions sportives internationales.

 

En 1960 les soeurs soviétiques Press éveillent à nouveau les soupçons. Elles semblent imbattables: Irina remporte la médaille d’or aux JO de 1960 à Londres dans la discipline du 80 mètres haie, ainsi que la médaille d’or en 1964 au pentathlon. Tamara remporte la médaille d’or aux JO de 1960 et 1964 au lancer de poids et de disque [29]. Elles sont la source de polémiques sur leur genre et en 1966 la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) impose alors aux sportives des examens de « contrôles des sexes », aussi nommés “examen de visu”. Les morphologies des organes génitaux externes des athlètes sont alors étudiées. Pour cela les athlètes défilent devant un panel de juges. Ainsi, en 1966 le but pour l’IAAF était d’empêcher les tricheries au sein des compétitions sportives internationales. Ce test devait en effet servir à dissuader les hommes de concourir dans les catégories féminines. La Canadian Academy of Sports Medicine affirme dans un rapport de 1997, qu’au cours des deux années qui ont suivi, la vérification du sexe est devenue une partie du protocole de pré-compétition pour les athlètes féminines d'athlétisme. Ce processus appelé aussi “the nude parade” - “examens de visu” se révèle être humiliant, une des athlètes ayant subi le test a l’époque, témoigne auprès de Anaïs Bohuon, socio-historienne spécialisée dans l’accessibilité des femmes aux activités physiques et sportives, ce que l'auteur rapporte dans son livre “Le Test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?" [30].

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Aussi, le test est inefficace. En effet, il ne suffit pas d’examiner les organes génitaux afin de déterminer le sexe d’un individu. La catégorisation du genre “homme” et du genre “femme” est en réalité très complexe comme nous avons pu le voir avec les différents cas de DSD plus haut. En 1953 les chercheurs Francis Crick et James Watson découvre la structure de l’ADN ce qui ouvre la possibilité d’améliorer la précision des tests en supprimant les “examens de visu” [26].

 

Ainsi est introduit et imposé par la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) le “test des corpuscules de Barr”. Il prend effet lors de la Coupe d’Europe d’athlétisme en 1967 et les JO d’Hiver de Grenoble en 1968. Toutes les athlètes féminines participant aux Jeux d'été de Mexico plus tard cette année-là ont été testées par inspection histologique (microscopique) pour la présence d'un corps de Barr dans des cellules grattées de la muqueuse buccale. Le corpuscule de Barr est un composant du noyau des cellules, présent chez les mammifères femelles. Il permet d’identifier l’absence d’un deuxième chromosome X. Mais il peut également identifier l’inactivation d’un des deux chromosomes X. Le système de détermination des sexes en biologie se fonde sur la présence de chromosomes différents: les chromosomes XX pour la femme et les chromosomes XY pour l’homme. Ainsi, en testant la présence d’un corpuscule de Barr l’IAAF pensait en découvrant l’absence d’un deuxième chromosome X pouvoir affirmer que l’individu testé n’était pas féminin. Or, comme le montre les auteurs du rapport “Variations du développement sexuel” publiée sous la Haute Ecole de Médecine de Genève [9], il existe des cas d’individus (DSD) ayant un seul chromosome sexuel (46X ou 46Y). Pourtant, ces individus se sont développés comme des femmes malgré l’absence de leur deuxième chromosome X et le test de Barr les excluait alors injustement. 

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On estime qu’entre 1972 et 1992, 13 personnes furent exclues des compétitions à cause de cette caractéristique. Première victime de ces tests incertains : la polonaise Ewa Janina KÅ‚obukowska (100 mètres). Selon l’IAAF elle a “un chromosome en trop” en effet ces gènes sont XX/XXY. En 1967, on lui retire l’ensemble de ces titres et elle est suspendue à vie à la suite de l'intervention de la fédération soviétique, car celle-ci est convaincue qu’elle se dope. Ce n'est qu’à la suite du changement politique, en 1990, qu’elle peut prouver son innocence et être réhabilitée [26]. Aussi, en 1985 l’espagnole Maria Martinez-Patino est expulsé de l’équipe olympique car elle échoue à ce test de féminité. Elle entame alors un combat afin de prouver l’injustice dont elle est victime et sa légitimité à concourir dans la catégorie féminine [31].

 

Pour ces raisons le test des corpuscules de Barr est remplacé en 1992 à partir des Jeux Olympiques d’Albertville. On emploie la méthode génétique PCR-SRY permettant d’identifier le chromosome Y, et non pas d’identifier l’absence du chromosome X. C’est donc une approche différente. Il s’agit de déterminer cette fois la présence du chromosome mâle Y (déterminant les testicules chez l’homme). Ces tests seront imposés à toutes les sportives inscrites dans cette catégorie pour les compétitions internationales. Là, le problème était d'exclure injustement les individus présentant un syndrome d’insensibilité aux androgènes. Ces individus présentent un génotype de type XY (la composition chromosomique masculine) mais ne développent jamais d’organes sexuels masculins, ils sont génétiquement masculins mais phénotypiquement féminins. Ce test PCR-SRY excluaient donc ces athlètes, phénotypiquement femmes depuis toujours, chez qui on avait repéré un chromosome Y. Aux Jeux olympiques d'Atlanta en 1996, 8 athlètes sur 3 387 testées étaient positives pour le gène SRY. Ils ont été jugés insensibles aux androgènes et ont finalement été autorisés à participer aux Jeux. Le huitième athlète a été confirmé comme ayant une condition intersexuelle moins courante,  étant un syndrome de déficit en 5 -alpha-réductase, et a également été autorisé à concourir [26]. Bien que la technique de PCR était censée identifier des séquences d'ADN uniquement masculines, on apprend au travers de l’article “Gender verification in sports by PCR amplification of SRY and DYZ1 Y chromosome specific sequences: presence of DYZ1 repeat in female athletes” [32] qu’une enquête plus approfondie a révélé qu'au moins une des séquences d'ADN utilisées pour amorcer la PCR n'était en fait pas spécifique aux hommes, et pourrait avoir contribué à un nombre malheureux de résultats de tests faussement positifs. De plus, les tests génétiques à eux seuls n'ont généralement pas réussi à identifier les athlètes féminines dont la physiologie leur conférerait en fait un avantage concurrentiel, par exemple des individus présentant des formes virilisantes d'hyperplasie surrénale congénitale [33]. Pour compliquer encore les choses, il est devenu douloureusement évident que les tests génétiques ne tiennent pas compte non plus des composantes psychosociales du sexe. De nombreux athlètes ont subi d'énormes dommages psychologiques suite à l'examen public qui a fait suite à la divulgation publique de résultats de tests anormaux. Pour ces raisons, les communautés scientifiques et de la médecine sportive se sont finalement montrées unanimes dans leur opposition publique à la pratique des tests génétiques de vérification du genre [34]. 

 

Au fil du temps, il est donc devenu évident que les méthodes en laboratoire pour déterminer le sexe d'un athlète étaient tout simplement inadéquates pour la tâche à accomplir. La tentative de s'appuyer sur des méthodes de tests génétiques de détermination du sexe a ouvert une véritable boîte de Pandore aux problèmes des athlètes et des officiels. Il n'est pas rare que les tests génétiques aient identifié un athlète dont le phénotype était clairement féminin comme ayant un génotype apparemment masculin. Le plus commun de ces «états intersexués» est l'état d'insensibilité aux androgènes, touchant environ 1 homme sur 60 000 comme l’appuie l’article “The XY female in sport: the controversy continues“ [35]. 

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En 2000, 29 des 34 fédérations sportives internationales avaient abandonné les tests de vérification de routine des sexes, comme le rappel l’article “Sex tested, gender verified: controlling female sexuality in the age of containment” [33]. L’IAAF dans cette dynamique change également le règlement. Les tests appelés « contrôles de genre » ne sont plus systématique mais soumis uniquement en cas de ne suspicion de camouflage du sexe. Les tests s’effectuent dès lors sous la forme de dosages hormonaux.

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Dans certains cas, les fédérations sportives ont conçu des stratégies alternatives pour résoudre le problème perçu de fraude sexuelle potentielle. Par exemple, au début des années 1990, l'IAAF a remplacé les tests génétiques par une évaluation de santé obligatoire et complète pour les athlètes masculins et féminins comme le souligne les auteurs de “Medical examination for health of all athletes replacing the need for gender verification in international sports” [36]. Fait intéressant, la FIVB (Fédération Internationale de Volleyball) était l'une des cinq fédérations sportives internationales qui n'avaient pas encore annulé leur exigence de vérification du genre avant les Jeux de Sydney. (La FIVB a depuis abandonné les tests génétiques sexuels de routine, bien qu'elle se réserve le droit d'exiger des tests formels en cas de suspicion extrême.) Finalement, le Comité International Olympique a souscrit à l'opinion qui prévalait et avant les Jeux d'été de 2000, a décidé de suspendre indéfiniment les tests de vérification de genre. 

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Tout de même, le cas de la coureuse hyper androgène Caster Semenya aux championnats du monde de 2009 fait ressurgir le débat. Afin de répondre à la controverse, la fédération sportive internationale (IAAF) publie en 2011 un nouveau règlement “les règles sur l’hyperandrogénie” ayant pour but de fixer un cadre dans le cas ou le sexe d’une athlète est contestée. L’IAAF autorise les athlètes à concourir seulement si leurs taux de testostérone sont inférieurs à la fourchette de valeurs normales des hommes (moins de 10nmol/L).  Ce seuil permet d’établir une distinction entre hommes et femmes sans se concentrer réellement sur les distinctions entre les femmes elles mêmes. Il remet en cause l’appartenance sexuelle d’athlètes comme Caster Semenya en  déterminant, à cause de ces taux élevés de testostérone, qu’elle doit concourir dans la catégorie masculine. La professeure de droit à la Duke Law School, Doriane Lambelet Coleman, spécialisée dans l'enseignement et les bourses liées à la culture, aux femmes, aux enfants, à la médecine et au droit, a été sollicitée en tant qu’experte dans la décision du Tribunal Arbitral du Sport. Elle explique qu’afin de préserver les catégories sportives dans le sport il est important de ne pas prendre compte des concepts “d’être née et d’avoir grandi comme femme”, résultant de  constructions sociales. Elle privilégie alors la “réalité biologique” [37]. Pourtant, d’autres ne partagent ni cet avis ni l’idée de “réalité biologique” révélée par les tests. C’est le cas par exemple de Pierre-Jean Vazel, entraîneur à Metz et fervent défenseur des droits des athlètes hyperandrogènes. Selon lui, ces tests biologiques ont toujours été “subjectifs” et “arbitraires”, fondés sur des critères “où l’idée culturelle de la “femme parfaite” et de la virilité sont des indicateurs d’un avantage sportif”.

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En 2013, dans un article publié dans le Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism, les endocrinologues Patrick Fenichel et Charles Sultan rapportent les cas de quatre athlètes de 18 à 21 ans ayant été repérées lors d’un contrôle antidopage par les fédérations de leurs pays et diagnostiquée avec des syndromes d’insensibilité aux androgènes (caryotype XY). Les test ont aussi révélé des taux anormalement hauts de testostérone les empêchant de concourir dans les catégories féminines. Les instances sportives leurs ont alors proposées une opération : une ablation du clitoris partielle, une ablation des testicules ainsi qu’une thérapie par oestrogènes. Elles ont acceptée cette “normalisation” et ont pu concourir [38].

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En 2015 la coureuse Dutee Chand poursuit l’IAAF après avoir été testée et interdite de concourir. Le Tribunal Arbitral du Sport suspend le règlement de 2011 pour causes d’absences de preuves scientifiques de la légitimité de son règlement. L’IAAF doit ainsi prouver que les athlètes hyper androgènes, grâce à des taux de testostérone plus élevés, ont des performances avantagées par rapport aux autres concurrentes. L’IAAF a ainsi publié deux références scientifiques sur la base de l’analyse de valeurs de 829 athlètes féminines élites (participant à des championnats du monde). Dans ces rapports forcément controversés par les parties adverses concernées, on observe quand même une survenance 140 fois plus élevée d’athlètes hyperandrogènes. Les études présentant les gains stupéfiants de performance des athlètes est-allemandes victimes du dopage d’Etat soulignent l’effet ergogénique de taux d’hormones androgènes élevés. Aussi, des taux de testostérones 20 à 50 fois plus élevés chez une femme sont en lien avec un gain significatif de performance (même si des exceptions existent) [39]. Ces études scientifiques sont fortement contestés par des acteurs comme Pierre-Jean Vazel qui dénonce un biais de recherche : “Les institutions sportives telles que le Comité International Olympique (CIO) et l’IAAF ont toujours prétendu que leurs règlements étaient basés sur la science. Mais cela a toujours été le contraire : la science a été créée pour justifier le règlement existant.”

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En 2018 l’IAAF redéfinit son règlement de 2011 par le “Règlement d’admissibilité”. Il concerne cette fois ci davantage les athlètes possédant des différences de développement sexuel (DSD), que les athlètes hyper androgènes, et établit de nouveaux taux de testostérone à ne pas dépasser, cette fois-ci à 5nmol/L. 

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