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Critère génétique : la détermination chromosomique du sexe

La détermination chromosomique du sexe chez les mammifères se fait en deux temps, la détermination primaire et la secondaire.

 

Chez les mammifères, la détermination du sexe primaire est strictement chromosomique et n'est généralement pas influencée par l'environnement. Les humains naissent avec 46 chromosomes en 23 paires. Les chromosomes X et Y déterminent le sexe d'une personne. La plupart des femmes sont 46XX et la plupart des hommes sont 46XY [10]. Le chromosome X est forcément commun aux deux sexes puisque la femelle est XX et donne un seul chromosome X à chacun de ses oeufs. Le mâle XY peut quant à lui générer deux types de spermatozoïdes : ceux portant le chromosome Y et ceux portant le chromosome X. Deux cas de figure sont donc possibles :

  • Si l’ovule X est fécondé par un spermatozoïde X, l’individu résultat sera XX et développera des caractères sexuels secondaires féminins. 

  • Si l’ovule X est fécondé par un spermatozoïde Y, l’individu résultat sera XY et développera des caractères sexuels secondaires masculins. 

Le chromosome Y est porteur du gène SRY qui code le facteur déterminant du testicule et qui est donc responsable de la détermination du sexe. Comme nous l’a précisé Mme Lebar, présidente du Comité éthique et Sport -une association à but non lucratif soucieuse de l’avenir du sport et du respect des valeurs éthiques- et docteur en médecine, lors de notre entretien avec elle : “Quand on est XY, on est un homme à cause du Y, c’est ce Y qui fait tout”. Également, “parce que la différenciation sexuelle, c’est le chromosome Y, qui induit la formation de testicules, qui induit la sécrétion de testostérone, qui masculinise l’embryon car au départ il est féminin, le sexe féminin étant le sexe de base” comme l’affirme également Jacques Balthazar, biologiste belge spécialisé en neuroendocrinologie du comportement, lors d’un autre entretien. Cependant, des perturbations peuvent modifier ce modèle au moment de la méiose ou lors des premières divisions mitotiques du zygotes. Certaines personnes naîtront alors avec un chromosome sexuel unique (46X ou 46Y), ce qu’on appelle une monosomie sexuelle dont la plus connue est le syndrome de Turner (46X), ou avec une trisomie des chromosomes sexuels (47XXX, 47XYY ou 47XXY, etc.) comme le montre les auteurs du rapport “Variations du développement sexuel” publiée sous la Haute Ecole de Médecine de Genève. De plus, certains mâles naissent 46XX en raison de la translocation d’une petite section de la région SRY comme certaines femelles naissent 46XY en raison de mutations dans le chromosome Y selon le rapport “La situation des personnes ayant des variations du développement sexuel” du CCNE [11]. Certaines athlètes comme Caster Semenya ont dans leur patrimoine génétique un chromosome Y. 

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Ces situations sont relativement rares, les fréquences des naissances concernées ont été établies par Orphanet et Genetics Home Reference. Le tableau récapitulatif ci-dessous reprend ces données.

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Joëlle Wiels, “La détermination génétique du sexe : une affaire compliquée”. Mon corps a-t-il un sexe ? (2015), pages 42 à 63

 

De toute évidence, il n’y a pas seulement des femmes XX et des hommes XY mais plutôt des assemblages variés de chromosomes sexuels qui mènent à la détermination du sexe. Ce constat soulève des questions majeures dans le monde sportif puisque, comme le rappelle la sociologue Béatrice Barbusse dans son livre “Du sexisme dans le sport” : “Le sport a été construit sur cette dichotomie entre hommes et femmes, sur une conception binaire des sexes.” [12]

 

De ces combinaisons chromosomiques vont découler de nombreux autres critères de différenciation.

 

Du sexe chromosomique découle le sexe gonadique c’est-à-dire la présence d’ovaires ou de testicules chez un individu. Initialement, l’embryon a une ébauche de gonade indifférenciée. Au cours du développement, la différenciation s’effectuera en fonction du sexe génétique, la présence du gène SRY induira la formation des testicules et son absence implique la formation des ovaires. Sans différenciation, l’individu développera des caractères sexuels féminins. Cela a été démontré dans l’étude “Genetic and hormonal factors in sexe differenciation of the brain” lorsque Jost a retiré les gonades foetales de lapins avant qu’elles ne soient différenciées, les animaux résultants avaient une anatomie et des caractères sexuels de femelle qu’elles soient XX ou XY. Les lapines avaient développé des oviductes, un utérus et un vagin sans aucune présence de structures masculines [13]. 

 

Les gonades produisent des hormones sexuelles. La production de ces hormones commencent lors de la formation foetale et connaîtra un autre boost lors de la puberté. Bien qu’on sépare les hormones masculines appelées androgènes, comme la testostérone, et les hormones féminines comme l’oestrogène et la progestérone, toutes ces hormones sont produites par les deux sexes. La testostérone est produite chez la femme par les glandes surrénales et les ovaires, les androgènes sont nécessaires à la fabrication des hormones sexuelles féminines. De même, l’organisme de l’homme contient des oestrogènes. Les ovaires et les testicules produisent les mêmes molécules, seules les quantités varient et en particulier à partir de la puberté. Comme le montre les auteurs de la méta-analyse “Circulating Testosterone as the Hormonal Basis of Sex Differences in Athletic Performance” publiée dans Endocrine Reviews, les hommes produisent vingt fois plus de testostérone que les femmes après la puberté [14]. 

 

Ces hormones sexuelles permettent ensuite la différenciation anatomique. Sous l’effet de la testostérone, l’appareil génital masculin se développe, il devient fonctionnel à la puberté qui est également accompagnée de l’apparition de caractères sexuels secondaires. Comme le souligne l’article de Andrée Tétry “Caractères sexuels secondaires” publié dans Encyclopædia Universalis [15], on voit alors une augmentation du volume testiculaire et de la verge, une pilosité, une mue, une croissance, ainsi que le développement musculaire. Sans taux de testostérone suffisamment élevés pour déclencher la différenciation ou en absence de gonades, la différenciation sera féminine. Certains dérèglements hormonaux entraînent une surproduction de testostérone appelée hyperandrogénie. L’un des plus communs est le syndrome des ovaires polykystiques qui touche environ 10% des femmes en âge de procréer d’après l’étude de Rosenfield RL et Ehrmann DA “The pathogenesis of polycystic ovary syndrome (PCOS): the hypothesis of PCOS as functional ovarian hyperandrogenism revisited” publiée dans Endocrine Reviews [16].

 

Selon l’étude “Criteria, prevalence, and phenotypes of polycystic ovary syndrome” publiée dans le journal Fertility and Sterility, la prévalence pourrait atteindre 21% des femmes en âge de procréer dans le monde suivant le diagnostic [17]. Ce syndrome serait particulièrement répandu chez les athlètes d’élite. Il entraîne des troubles de l’ovulation, des dérèglements des cycles menstruels, une hyperandrogénie qui se traduit par un hirsutisme et de l’acné, et des syndromes métaboliques. D’après la méta-analyse “Circulating Testosterone as the Hormonal Basis of Sex Differences in Athletic Performance” publiée dans Endocrine Reviews [14], les taux de testostérone de ces femmes peuvent atteindre près de 5 nmol/L, ils sont plus élevés que chez la grande majorité des femmes (entre 0,3 et 3 nmol/L). Malgré ces taux élevés, les femmes concernés ont des caractères sexuels primaires et secondaires féminins. 

 

Dans le cas des athlètes comme Caster Semenya, la génétique n’a pas abouti à une différenciation masculine comme le laisser présager la présence du chromosome Y.  Selon Mme Lebar : “Quand vous êtes une femme, vous êtes XX, quand vous êtes un homme, vous êtes XY. Tout part de là. De ce génome découlent des taux hormonaux. Pour les XY, des taux de testostérone supérieurs aux taux d’œstrogène et chez les XX donc les femmes, des taux d’œstrogène supérieurs aux taux de testostérone”. Elle ajoute à propos de la sportive : “Caster Semenya a un Y. Elle a un phénotype qu’elle a décidé être de fille, parce que dans ces mêmes conditions il y a des personnes qui décident que ce sera un garçon, c’est elle qui le décide.” Mais la réalité biologique semble plus complexe. Au cours des différentes étapes du développement peuvent apparaître des irrégularités conduisant à des différences du développement sexuel (DSD). On parle également d’intersexuation ou d’intersexualité. La Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine donne la définition suivante : “Par « intersexualité », on comprend une situation dans laquelle le sexe d’une personne ne peut pas être déterminé de façon univoque sur le plan biologique. Cela veut dire que le développement sexuel chromosomique, gonadique et anatomique suit une trajectoire atypique et que les marqueurs de la différenciation sexuelle ne sont pas tous clairement masculins ou féminins. Le génotype (composition génétique) ne correspond ainsi pas au phénotype (apparence physique)”. Du fait de l’existence de cet état intermédiaire qui remet en question le dimorphisme absolu du sexe, certaines personnes plaident en faveur de la reconnaissance d’un sexe neutre dont le sujet a été développé entre autres par Mohamed Chaaben, enseignant à la faculté de Droit et des Sciences économiques de Limoges, dans “Le sexe neutre et le paradigme de la binarité des sexes”. 

 

Il existe différentes formes de différences du développement sexuel aboutissant à un état intersexué. Une classification a été établie en 2006 par par the Laeson Wilkins Pediatric Endocrine Society et the European Society for Pediatric Endocriology :

 

Les variations sexuelles au sein de ces catégories de DSD sont nombreuses. En cliquant sur une catégorie, vous aurez accès aux détails de ces variations. En général, ces différences du développement sexuel font l’objet d’interventions médicales, chirurgicales ou hormonales, pour répondre au besoin social de sexuation binaire. Les cas de DSD 46, XY DSD sont rares dans la population générale mais le sont moins dans la population d’athlètes d’élites. Dans l’étude dirigée par Stéphane Bermon “Serum Androgen Levels in Elite Female Athletes” publiée dans The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism [18], l’incidence dans la population générale est estimée à 1 naissance sur 20 000 contre 7 sur 1000 chez les athlètes participant aux championnats du monde, soit 140 fois plus. Les personnes intersexuées se construisent suivant les attentes sociales en fonction d’un des deux sexes. Lorsqu’elles se construisent en tant que femmes et qu’elles en viennent à participer à des compétitions sportives de haut niveau comme Caster Semenya, elles remettent en cause la classification des instances sportives. Ces personnes intersexuées ont en général un taux de testostérone bien supérieur à la moyenne féminine, une morphologie virilisée, cela peut se ressentir sur les performances et remettre en question l’équité dans les compétitions. C’est la raison pour laquelle Béatrice Barbusse affirme dans “Du sexisme dans le sport” qu’“il n'y a pas de rupture biologique entre les hommes et les femmes, mais une continuité, car il existe des individus, comme Caster Semenya, qui ne se situent ni d'un côté ni de l'autre.” Cet argument de continuité qui dément une binarité stricte est repris par l’historienne des sciences Ilana Löwy qui explique : “si le sexe social est construit sur un mode binaire, le sexe biologique se présente comme un continuum, avec aux deux extrêmes les sexes biologiques clairement définis et au milieu une large gamme de situation intermédiaire - des individus intersexes.” [19]

 

Dans la littérature scientifique, les effets sur les performances sont controversés. Certaines études comme celle de Ferguson-Smith intitulée “Natural selection for genetic variants in sport : the role of Y chromosome genes in elite female athletes with 46,XY DSD” [20] semble montrer que le chromosome Y chez les athlètes 46, XY DSD concourant dans la catégorie féminine n’apporte aucun avantage déterminant sur les performances. Dans de nombreux cas, les récepteurs des androgènes sont non fonctionnels donc la testostérone ne peut pas être responsable de leur succès athlétique. L’étude “Out of Bounds? A Critique of the New Policies on Hyperandrogenism in Elite Female Athletes” conduite par Katrina Karkazis [21] semble montrer que l’hyperandrogénie de ces athlètes n’apporte pas d’avantage particulier au regard des autres “variations exceptionnelles” que présentent les athlètes d’élite. D’un autre côté, les résultats de l’étude “Circulating Testosterone as the Hormonal Basis of Sex Differences in Athletic Performance” [14] indiquent que l’hyperandrogénie procure “un avantage physique majeur, continu, cumulatif et durable dans le sport”. Le corps scientifique est donc divisé à ce sujet, ce qui ressort est que l’hyperandrogénie et les cas d’intersexuation peuvent influencer les performances mais surtout remettent en cause la classification homme/femme que la biologie elle-même réfute. L’étude “Hyperandrogenic athletes : performance differences in elite-standard 200m and 800m finals” [22] montre en effet que les performances d’une athlète comme Caster Semenya sont meilleures que celles des athlètes non hyperandrogènes mais que cette différence de performances est bien inférieure à la différence entre hommes et femmes. Ces cas d’intersexuation et d’hyperandrogénie posent donc de nombreuses questions tant sur notre pensée classique de la différenciation des sexes que sur les règles binaires imposées dans le monde sportif.

 

Les neuroscientifiques aussi se sont saisi du sujet de différenciation des sexes. Des études récentes comme celle de Bakker J. “The sexual differentiation of the human brain : role of sex hormones versus sex chromosomes” publiée dans Current Topics in Behavioral Neurosciences [23] montrent à partir de modèles animaux que les hormones et chromosomes sexuels induisent des comportements spécifiques et entraînent une différenciation sexuelle du cerveau. La conclusion de cette étude est que la différenciation sexuelle du cerveau est un processus multifactoriel dans lequel de nombreuses variables peuvent intervenir. Voilà une pierre qui s’ajoute à la complexité déjà considérable de la différenciation des sexes. 

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