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Une réglementation pour quel sport? > Quel avenir pour la catégorisation des genres dans le sport ?

Quel avenir pour la catégorisation des genres dans le sport ?

"Je pense que la catégorisation a été arbitraire. Les premiers jeux qui ont été fait avant Coubertin, la femme était un sous-être et donc n’était pas présente et n’avait pas le droit de participer, la compétition était purement masculine. Ensuite avec Coubertin ça a été la même chose, il a fallu attendre Alice Milla pour que la femme commence à essayer de jouer des coudes pour rentrer. Par conséquent, tout a été fait pour les hommes, le monde du sport a été fait pour les hommes, depuis toujours et donc on ne s’est jamais posé la question du sexe féminin et donc vous imaginez bien qu’on s’est encore moins posés la question des intersexes, des HA etc" exprime Véronique Lebar, médecin du sport et Présidente de la Commission Ethique et Sport, lors de notre entretien.

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Alors qu’elle évoque un monde du sport qui ne convient pas au sexe féminin, elle met également en avant la question de la place des athlètes hyperandrogènes et plus généralement de tous les athlètes à qui la catégorisation binaire ne convient pas. La catégorisation des athlètes telle qu’elle se présente aujourd’hui interpelle dans de nombreux cas. Quid des femmes XY souvent plus grandes et en meilleure santé que la moyenne ? Quid des maladies génétiques comme les tumeurs ou le déficit en 21-hydroxylase (également appelé hyperplasie congénitale des surrénales) ? Quid des femmes 46,XY DSD plus grandes que la moyenne féminine et des hommes XX,DSD plus petit que la moyenne masculine?

 

Dans l'étude dirigée par Katrina Karkasis "Out ouf Bounds? A Critique of the New Policies on Hyperandrogenism in Elite Female Athletes" [21], quatre auteurs viennent ainsi démontrer les limites des règlementations et des catégorisations concernant les athlètes hyperandrogènes. Ils expliquent que le sexe est toujours complexe et que l’intersexuation n’est ni une aberration ni même tout simplement exceptionnelle. Le sexe n’est pas forcément binaire que ce soit selon des critères biologiques, psychologiques, génétiques ou hormonaux.

 

Pour la plupart des athlètes concernées, il s’agit de faire le choix entre un traitement hormonal avec les conséquences que cela implique ou d’accepter d’être disqualifiées et empêchées de participer à la compétition. Rappelons que cette situation ne concerne que les femmes athlètes puisque les hommes, en dehors des minimales ou maximales masculines, ne se voient pas sanctionnés. Leur participation dans la catégorie homme n’est pas remise en question.

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Si la notion de catégorie reste pertinente au regard de l’égalité des chances, les problématiques que pose l’imposition d’un traitement médical aux athlètes amènent à penser la création d’une nouvelle catégorie. Plusieurs hypothèses voient alors le jour et de nouvelles formes de catégorisation viennent à être penser. Parmi celles-ci apparaissent l’auto-évaluation, les épreuves mixtes ou encore l’apparition d’une troisième catégorie.

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L’auto-évaluation pour une catégorisation plus souple

 

La catégorisation basée sur l’auto-évaluation est une première forme d’évolution de la catégorisation binaire à envisager. Manuel Picaud, co-président de la formation FIER sport et culture au sujet des Gay Games exprime ainsi que “finalement le sport c’est d’abord une activité sociale. C’est une activité dont la compétition concerne très très peu de gens. En fait elle devrait pouvoir concerner beaucoup plus de gens si on ouvrait ses règles. Et les règles devraient inclure davantage de mixité et effectivement le choix de chacun de choisir la catégorie et le genre qu’il/elle souhaite.” L’évènement sportif et culturel qu’il présente, à savoir les Gay Games sont ainsi fondés sur l’auto-évaluation. Cette auto-évaluation repose sur le choix de l’athlète concernant le niveau dans lequel il concourt mais aussi la tranche d’âge et surtout le genre. Il existe donc bien ici des catégories mais il appartient au sportif de choisir celle dans laquelle il souhaite concourir sans qu’aucun règlement ou vérification ne vienne s’y opposer. Il n’y a donc pas de contrôle de genre et chacun doit respecter le genre dans lequel chaque participante ou participant a décidé de s’inscrire.

 

Dans ses premières lignes, le règlement des Gay Games [69], concernant le genre indique ainsi que “la définition dominante du genre en tant que « homme » ou « femme », en partie pertinente pour le monde du sport tel qu'il est actuellement organisé et pratiqué, ne peut pas englober la diversité des identités de genre de tous les athlètes”. Les Gay Games sont alors organisés de la manière suivante : en s’inscrivant en ligne à la compétition, les participants doivent enregistrer leur genre légal conforme à leur carte d’identité, mais enregistrent également leur genre pour la compétition, genre qu’ils sont libres de choisir. Nombreuses sont donc les compétitions mixtes et cela ne doit pas poser de problèmes aux athlètes. 

 

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Repenser la catégorisation par les épreuves mixtes

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La question des épreuves mixtes est d’ailleurs une autre manière de repenser les catégories sans pour autant les supprimer ou les modifier. À ce titre, Bernard Amsalem, ancien président de la Fédération française d’athlétisme, exprime en réponse à une possible re-catégorisation que pour lui cela n’est absolument pas pertinent mais qu’il est en revanche possible de rendre mixtes certaines compétitions. Actuellement, certaines épreuves sont déjà mixtes aux Jeux Olympiques et surtout aux Jeux Olympiques de la jeunesse, ce qui est perçu comme un signe d’innovation [70]. Aux Jeux Olympiques de la jeunesse, ces épreuves figurent au programme depuis 2010. On note ainsi la natation avec son relai mixte 4x100m quatre nages, le pentathlon moderne avec 24 équipes plurinationales composées de deux athlètes (un homme et une femme), les sports équestres dans lesquels hommes et femmes concourent sur un pied d’égalité que ce soit dans les épreuves individuelles ou dans les épreuves par équipe, le golf où les équipes mixtes sont composées d’un homme et d’une femme, le tennis avec des épreuves doubles mixtes, le tennis de table avec un double mixte également lors de la troisième partie du match et enfin la voile et ses équipes mixtes constituées d’un homme et d’une femme. Du côté des JO classiques, on remarque que lors des Jeux de Rio en 2016 seule une discipline était parfaitement mixte, à savoir l’équitation. D’autres disciplines étaient partiellement neutres, c’est-à-dire que seules quelques épreuves étaient concernées comme le Nacra 17 en voile, le double mixte au badminton ou au tennis. Les Jeux de Tokyo quant-à-eux, initialement prévus en 2020 et reportés à 2021 présenteront 18 épreuves mixtes contre 9 aux Jeux de 2016. Les sports concernés sont la natation, l’équitation, le tir-à-l’arc, le tennis de table, le judo, le triathlon, le tir et la voile. 

 

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Une troisième catégorie pour supplanter la catégorisation binaire

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Enfin, l’idée d’une troisième catégorie apparaît elle aussi dans les esprits. Eric Vilain, médecin expert de l’intersexualisation et professeur à l’Université de Californie de Los Angeles se montre ainsi en faveur de l’instauration d’un genre féminin sportif, qui serait différent du genre féminin tout court. Il explique : "J’ai proposé qu’on explore cette voie, car dans des pays comme l’Allemagne ou l’Australie on peut déjà inscrire ce troisième genre sur son passeport. Un jour, un athlète se présentera aux JO sans être ni un homme ni une femme !". Stéphane Bermon, médecin du sport et physiologiste interne à l’IAAF, considère quant-à-lui la venue d’une troisième catégorie comme très probable mais indique que "ni les instances sportives ni la société ne sont encore prêtes pour cela". La création d’une troisième catégorie paraît donc grandement corrélée aux évolutions de la société comme le rappelle Béatrice Barbusse, chercheuse et auteure du livre "Du sexisme dans le sport" [12] : "On peut imaginer dans 50 ans que l'on soit arrivé à un niveau sociétal suffisamment élevé pour accepter qu'il n'y ait plus de catégorisation de genre obligatoire. Cette affaire peut bousculer complètement l'organisation du sport de demain."

 

Finalement, il est aussi possible d’imaginer une réorganisation du sport en profondeur, favorisant le sport en loisir, meilleur pour la santé comme le rappelle J. Balthazar. En donnant moins d’importance à la compétition, l’enjeu de catégorisation de sexe et de genre perd en importance.

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