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Entretien avec Véronique Lebar

Présidente du Comité éthique et Sport, docteur en médecine, ancienne responsable du Pôle Sport Santé Bien être au Ministère des sports et ex responsable de la Cellule médicale de l'Agence française de lutte contre le dopage.

 

Retranscription de l’entretien

Jeudi 26/03/2020

Réalisé par téléphone par Adèle Roncière et David Heilbronn

 

David Heilbronn : Bonjour madame, tout d’abord merci de vous rendre disponible pour nous dans ces temps étranges. Nous faisons partie d’un groupe d’étudiants de Sciences Po qui s’intéresse à la question des athlètes hyperandrogènes. Vous avez été en contact avec notre amie Paola qui vous a envoyé un mail et avec Adèle on s’occupe de cet entretien. Nous rencontrons différents acteurs qui pourraient nous éclairer sur les questions que l’on se pose à propos de ce sujet. On a pu voir que la commission Éthique et Sport pouvait nous éclairer sur certaines questions. Tout d’abord, pouvez-vous nous expliquer plus précisément les missions de la commission.

 

Véronique Lebar : Le Comité Éthique et Sport, c’est une association qui a été créée il y a à peu près huit ans. Elle regroupe des professionnels du sport ou des passionnés du sport, il y a pas mal de gens de Sciences Po d’ailleurs. On s’attache tous autour d’un objectif unique, c’est de faire des propositions concrètes, et le mot concret est très important, sur certaines déviances à l’éthique dans le monde du sport. Actuellement on a quatre groupes de travail et un cinquième en préparation : le groupe sponsoring responsable, le groupe prévention et lutte contre les discriminations, le groupe prévention et lutte contre les maltraitances et le groupe prévention et lutte contre le dopage. Le groupe en préparation est le groupe arbitre. Pour chacun de ces groupes, on a réuni des experts qui pourraient être à l’intérieur ou à l’extérieur du comité. Une fois que le groupe a fait un écrit, qui peut être sous la forme d’un rapport, d’un questionnaire, etc., c’est à dire un état des lieux de la thématique traitée, il faut obligatoirement certaines propositions concrètes qu’on adresse, selon les groupes et selon les propositions, aux institutions, au monde du sport.

 

D.H : D’accord, très bien. Cela nous intéresse beaucoup dans le cadre de notre enquête. Je vais laisser Adèle vous poser les premières questions et je reprendrai la main après.

 

Adèle Roncière : Bonjour, pour commencer, avez-vous déjà été confrontée à cette problématique des athlètes hyperandrogènes dans le milieu des compétitions sportives ?

 

V.L : Confrontée à titre personnel ou au niveau du comité ?

 

A.R : Les deux points de vue nous intéressent : le vôtre et celui du comité.

 

V.L : Par rapport au mien : j’ai été directrice médicale pendant sept ans de l’Agence Française de lutte contre le Dopage et c’est vrai que régulièrement, on avait des cas positifs de testostérone qui nous étaient remontés. Dans ces cas-là, comme dans tous les cas, la première question se pose quand il y a un excès de testostérone remarqué dans les échantillons urinaires, on fait d’abord un T/E (c’est le rapport testostérone sur épitestostérone) pour voir si ce rapport excède ou non 6. S’il est inférieur à 6, on ne fait pas de recherche supplémentaire, s’il est supérieur à 6 on regarde par un procédé chimique de laboratoire si cette testostérone est d’origine endogène ou exogène, c’est à dire synthétique. Quand elle est d’origine exogène, c’est soit un dopage, soit une pathologie. Par exemple chez les hommes qui ont un taux de testostérone bas, on donne des patchs de testostérone pour qu’ils aient un dosage de testostérone plus haut. Dans ce cas c’est normal, c’est pour traiter une maladie.

C’est vrai que régulièrement, on a reçu ce style de cas au sein de la FLD et c’est vrai qu’à chaque fois c’est une problématique, la problématique de Caster Semenya. Au sens strico sensus du dopage, ce qu’on demandait il y a 5 ou 6 ans aux sportives, c’était d’avoir un certificat avec leur bilan biologique qui indiquait le fait qu’elles avaient une testostérone naturellement élevée. Ça marchait comme ça avant mais je suppose que logiquement, étant donné que ces sportives avaient naturellement un taux de testostérone supérieur aux autres personnes, obligatoirement elles avaient un avantage. Je suppose qu’il y a eu certaines plaintes au niveau du TAS et du CIO qui ont fait que ces institutions se sont penchées sur ces questions. Au niveau du Comité Éthique et Sport, on a des sportives dans le comité, on rencontre des sportifs lors de formations, mais dans certaines thématiques très particulières. Par exemple, dans notre groupe de prévention et lutte contre les maltraitances, on a un numéro d’appel qui est dévolu aux victimes de maltraitance et de discrimination dans le sport. Vous voyez, à chaque fois c’est dans un objectif très précis. Nous n’avons jamais eu à traiter ce cas-là. Ça pourrait rentrer dans la thématique discrimination, mais on n’a jamais eu ce problème, on n’a jamais eu cette plainte. Je dis plainte car on pourrait avoir des avocates qui s’en occupent. Mais je pense aussi que c’est normal parce que tout le monde sait que la question a été tranchée par rapport au CIO, normalement ces personnes n’ont pas le droit de concourir et le CIO préconise un traitement hormonal pour que ces personnes retrouvent un niveau hormonal compatible avec une féminité classique, on va dire ça comme ça.

 

A.R : Merci beaucoup pour votre réponse, vous avez abordé plein de points qui sont au cœur de notre sujet. Pour commencer, vous parliez de taux de testostérone et de seuils imposés pour juger les habilités ou la normalité. Qu’est-ce que vous pensez de ces taux ? Vous parliez d’un rapport à 6.

 

V.L : C’est le rapport T/E, ce n’est pas un taux. Très régulièrement, parce que c’est facile et logique, les gens qui se dopent à la testostérone, pas à l’épitéstostérone car elle n’est pas sur la liste, ils manipulent obligatoirement le rapport pour avoir un taux inférieur à 6. Dans ce cas le dopage passe inaperçu. C’est une des façons de se doper ni vu ni connu. Le T/E inférieur à 6 n’a rien à voir avec le taux d’hormones. Le taux d’hormones dont on parle c’est le taux hormonal classique des laboratoires, ce n’est rien de particulier.

 

A.R : D’accord, et ce critère enfin ce seuil à 6 pour le rapport T/E est lié à quoi ?

 

V.L : C’est l’AMAD, l’Agence Mondiale Anti-Dopage, qui détermine tous les seuils. Je ne peux pas vous donner d’information. Quand j’étais directrice médical de la FLD, à chaque fois que j’essayais d’avoir une information quelconque sur des produits : pourquoi ils avaient enlevé tel produit sur la liste, pourquoi ils l’avaient remis, etc., je n’ai jamais eu de réponse.

 

A.R : C’est confidentiel ?

 

V.L : Oui c’est confidentiel, mais il doit y avoir pas mal de raisons pour lesquelles c’est confidentiel…. Mais je n’en sais pas plus, le T/E inférieur à 6 je ne sais pas pourquoi.

 

A.R : Dans le cas des athlètes hyperandrogènes, vous avez sans doute entendu parler des tests de féminité justement pour faire un contrôle du taux de testostérone. Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur ces tests ? La féminité peut-elle être testée ? Les critères qui sont utilisés, c’est à dire des taux de testostérone inférieurs à un certain seuil, vous semblent-ils cohérents pour vous qui travaillez sur les questions de dopage ? Avez-vous un avis sur le test de féminité dans le sport ?

 

V.L : Tout à fait. Très clairement, moi je suis médecin donc c’est vrai que je considère les choses en tant que médecin mais je suis consciente que ça pose beaucoup de problème et en particulier aux sociologues et aux féministes, même si on pourrait parler longtemps de la définition de féministe. Je vais vous répondre en tant que médecin. En tant que médecin, qu’est-ce que c’est être une femme ? Qu’est-ce qui différencie un homme d’une femme ? Une femme, ce n’est pas parce qu’elle se laisse pousser les cheveux et qu’elle se met du rouge à lèvre et une jupe que c’est une femme. Quand une femme est enceinte est qu’on veut savoir le sexe de l’enfant, on fait une amniocentèse. L’amniocentèse détermine le caryotype qui va nous dire si l’enfant est XX ou XY. Ça c’est la base de la base. Quand vous êtes une femme, vous êtes XX, quand vous êtes un homme, vous êtes XY. Tout part de là. De ce génome découlent des taux hormonaux. Pour les XY, des taux de testostérone supérieurs aux taux d’œstrogène et chez les XX donc les femmes, des taux d’œstrogène supérieurs aux taux de testostérone. Quand vous avez un taux de testostérone, pour un homme, supérieur au taux d’œstrogène, vous avez des signes sexuels secondaires donc pour les XY à prédominance masculine et pour les XX, à prédominance féminine. Dans le premier cas XY (plus de testostérone que d’œstrogène), vous avez comme signes secondaires qui prouvent que vous êtes un homme : une verge, moins de graisse que les femmes, voix rauque, une pilosité plus importante que les femmes, et dans la moyenne générale, même si c’est discutable, les XY ont une attirance pour les personnes de sexe opposé. Pour les XX, donc pour les femmes, les caractères sexuels féminins secondaires sont moins de poils que les hommes, une voix plus aiguë que les XY, une prédominance à la cellulite, à la graisse, ce qui prépare à avoir des enfants, ce sont les œstrogènes qui font ça, ça prépare à la maternité, c’est tout à fait physiologique. Quand on est XY, on est un homme à cause de ce Y, c’est ce Y qui fait tout. Et donc, Caster Semenya a un Y. Ce n’est pas parce qu’elle a un phénotype qu’elle a décidé être de fille, parce que dans ces mêmes il y a des personnes qui décident que ce sera un garçon, c’est elle qui le décide et elle le décide avec une communication phénotypique de femme. Quand je dis une communication phénotype, c’est une communication phénotypique qui s’oppose à la communication génotypique. Le génotype est XY, en général c’est XXY pour les personnes telles que Caster Semenya et le phénotype c’est se laisser pousser les cheveux, se mettre des robes. Elles ont décidé d’avoir un phénotype, donc une apparence, de fille. Ce sont elles qui l’ont décidé.

 

J’ai oublié un truc hyper important. Quand on est un homme, on a des caractères sexuels masculins secondaires, on a une verge et on a une prostate et pour les filles on a un utérus et des ovaires. En l’occurrence, ces filles XY, enfin ces filles ou ces garçons mais si elles ont décidé d’être appelées filles pour moi il n’y a pas de soucis, elles ont très souvent une verge, pas d’ovaires etc. Il n’y a pas que le phénotype. Ce n’est pas le phénotype qui détermine une personne, c’est son génotype, ce sont ses organes, ses taux hormonaux, ses organes sexuels masculins ou féminins secondaires. Et donc en l’occurrence, Caster Semenya a un taux de testostérone supérieur à la moyenne des filles XX mais c’est logique puisqu’elle a un Y en plus et donc elle est dopée naturellement. Si on fait un T/E, évidemment il sera négatif, mais est-ce que c’est pour ça qu’elle n’a pas un avantage sur les autres filles ? Si, elle a un avantage. La preuve c’est que, quand elle concourt avec les hommes, elle est à la ramasse. C’est vrai qu’il y a des féministes et des sociologues qui disent : oui, c’est discriminant, parce qu’on ne nous donne pas le droit d’être féminine comme on le veut. Ce n’est pas une question de droit, c’est la nature qui veut ça. Bien sûr qu’on leur donne le droit de s’habiller en femme ou en homme, tout le monde s’en fout. C’est une question personnelle de s’habiller comme on veut. Les hommes aussi ont le droit de s’habiller en jupe et de se maquiller. Bien sûr il y a des personnes que ça dérange… Mais franchement, on s’en fout ! Là, la question est : est-ce que ça vous donne un avantage dans le monde du sport ? Et ces personnes qui décident d’avoir un look de fille, un phénotype de fille, évidemment que ce n’est pas juste. Je suis complètement d’accord avec les conclusions du CIO et du TAS qui disent que ça leur donne un avantage, mais je n’ai même pas à être d’accord, n’importe qui doit vous le dire à part les personnes non informées. Par contre, toujours en tant que médecin, je ne suis absolument pas d’accord avec le fait que ces XXY, je les appelle ainsi parce que ça me dérange de dire que ce sont des filles car ce ne sont pas vraiment des filles, n’ont pas à subir des traitements hormonaux pour que leurs taux hormonaux soient ramenés aux standards féminins. Je suis contre parce que médicalement c’est très dangereux pour la santé. On sait très bien que quand on manipule des hormones, quels que soient les hormones et quels que soient les taux, on a beaucoup de mal à arriver à une santé. Ces personnes XXY ont une santé, c’est à dire un équilibre hormonal qui leur convient et qui n’engendre pas de pathologie. Il ne faut vraiment pas les toucher parce que si on commence à leur injecter des œstrogènes pour baisser la testostérone, elles vont commencer à avoir des problèmes de santé donc je suis complètement contre, toujours en tant que médecin.

 

 

A.R : Vous avez encore dit plein de choses, c’est génial ! Il y a un premier point sur lequel j’aimerais revenir quand vous dites que ces individus XY décident d’être des femmes. J’avais lu dans plusieurs études scientifiques que dans le cas de troubles de développement sexuels, il était parfois difficile à la naissance de déterminer le sexe de l’enfant. Dans le cas justement de ce qu’ils appellent 46, XY DSD, on a en fait un système génital intermédiaire entre les deux. On a la présence d’un chromosome Y, mais à la naissance on peut penser d’un point de vue phénotypique que c’est une femme. Ce sont des personnes qui ont été élevées comme des filles, qui ont développé une identité féminine forte et, dans le cadre de compétitions sportives, on se rend compte que finalement elles ont des taux testostérone élevés. On remet en cause toute cette évolution.

 

V.R : Ce que je voulais dire, je me suis sans doute mal exprimée : ce ne sont pas forcément elles qui décident d’être des filles, c’est peut-être quelqu’un à leur naissance qui décide pour elles que ce seront des filles. Normalement, quand vous êtes nés, on ne s’est pas dit : fille ou garçon ? Non, vous étiez une fille parce que vous aviez des signes secondaires de filles même si vous n’étiez pas encore pubère. La décision a été prise par quelqu’un d’autre quand elles étaient bébé, mais cette décision n’a pas été prise de façon médicale. La décision a été prise de façon arbitrale, par un être humain. C’est ce que je voulais dire, je me suis mal exprimée.

 

A.R : Merci, c’est beaucoup plus clair, il y a tellement de façon d’exprimer les choses. Un autre point sur lequel je voulais revenir c’est que, d’après ce que vous dites, tout vient de la génétique. C’est à dire de la présence d’un chromosome Y ou non.

 

V.L : Après il y a l’éducation, il y a la société, ça polit les choses. La base c’est la génétique.

 

A.R : Ce côté social est sans doute ce qui permet de différencier sexe et genre. Mais pour revenir à ce que vous disiez, ce qui définit le sexe d’un individu se trouve au niveau chromosomique. Alors comment expliquer l’évolution des tests de féminité ? Pendant un moment, ils faisaient une analyse chromosomique pour voir la présence ou non du chromosome Y, ce qui permettait de faire une catégorisation. Aujourd’hui, ils se sont orientés vers un test hormonal et non plus chromosomique. Comment expliqueriez-vous cette évolution du critère de féminité ?

 

V.L : Je pense que ça va dans le sens de l’ouverture d’esprit parce que tous les hommes n’ont pas un taux de testostérone à 4,1 et toutes les femmes n’ont pas un taux d’œstrogène à 5,5. C’est tout le temps des fourchettes quand vous faites des bilans biologiques en laboratoire. Donc le fait de donner une fourchette plutôt que la présence d’un Y permet une plus grande latitude, une plus grande permissivité puisque c’est une fourchette, un écart type.

 

A.R : Du coup, pour la définition du seuil, vous parlez de fourchette. Y’a-t-il un gap entre les taux masculins ou féminins dans la population générale ? Comment peut-on déterminer un seuil et est-ce que les seuils imposés par l’IAAF sont justifiés médicalement ?

 

V.L : Je ne sais pas ce qui s’est passé au niveau de l’IAAF ni pourquoi ils ont choisi ces seuils mais je suppose, en raisonnant comme tout médecin et comme tout scientifique, que pour définir un seuil, on prend une moyenne de personnes testées, on prend un échantillon type qu’on compare à un placebo. Ce sont des statistiques. Je ne suis pas dans le secret au niveau de l’IAAF mais toutes les statistiques en médical sont faites comme ça.

 

A.R : Dans le dernier règlement, ils ont imposé un seuil de 5 nmol/L de testostérone sérique. Avez-vous une opinion sur ce seuil ?

 

V.L : Non, pas vraiment. Je n’ai pas d’opinion parce que je n’ai pas les éléments pour avoir cette opinion. Ils se sont basés obligatoirement sur une ou plusieurs études en prenant la moyenne sur les différentes études pour déterminer ce seuil.

 

A.R : En effet, nous avons parcouru les études sur lesquels ils se sont appuyés pour déterminer ce seuil. Ils ont fixé un seuil qu’on peut considérer comme élevé par rapport à la norme féminine pour inclure les femmes atteintes de dérèglement hormonaux liés par exemple au syndrome des ovaires polykystiques.

 

V.L : Voilà, quand on a le syndrome des ovaires polykystiques, on est une femme, on a des ovaires, un clitoris, des seins, on a la graisse et parfois trop. Ce sont des femmes qui simplement ont des nodules sur les ovaires qui font qu’il y a une hyper-sécrétion de testostérone. Mais cette hypersécrétion de testostérone n’a pas lieu parce qu’elles ont un Y en plus, ces filles sont XX, il n’y a pas de souci là-dessus. Elles ont une sécrétion par rapport à une pathologie. C’est pour ça que pour moi, une femme c’est une XX. Celles qui ont le syndrome des ovaires polykystiques sont des femmes ou des “super-femmes” dans le sens mauvais du terme parce qu’elles ont plein de cellulite, plus de problème de poids que les autres. Mais elles sont XX.

 

A.R : On a des cas d’hyperandrogénie liés à des dérèglements hormonaux et non à la présence de chromosome Y.

 

V.L : Oui c’est exactement ça.

 

A.R : Dans ce cas, que fait-on des athlètes hyperandrogènes avec un génotype XX ?

 

V.L : Pour moi ce qui est important est de faire le génotype. Pour moi, ce sont des filles. Plus exactement, ce sont des filles qui ont des taux de testostérone supérieurs mais qui sont des pathologies. Elles en souffrent. Il faut se soigner du syndrome des ovaires polykystiques. C’est une maladie. Caster Semenya n’est absolument pas malade. Les syndromes des ovaires polykystiques ou les dérèglements hormonaux sont des dérèglements, des pathologies, il y a des traitements. Il faut se traiter, elles ont des problèmes, ce ne sont pas des filles qui sont en bonne santé. Ce n’est pas un choix, elles-mêmes demandent des traitements parce qu’elles sont mal, elles aimeraient avoir des enfants, elles ont des problèmes sexuels. Elle le demande. C’est ça la différence.

 

A.R : On constate dans le milieu des compétitions sportives d’élite une prévalence de femmes atteintes du syndrome des ovaires polykystiques plus importante que dans la population générale. On peut se demander si ce syndrome impacte ou non les performances sportives. La question sous-jacente est : Dans quelle mesure doit-on sanctionner ou non des atouts ?

 

V.L : On pense qu’il y a une raison médicale qu’il y ait plus de syndromes polykystiques chez les athlètes féminines que chez les non-sportives. Tout d’abord, il y a une grande injustice dans la lutte antidopage, la question c’est : pourquoi un produit est dopant (par exemple la testostérone) ou plutôt pourquoi une substance est dopante ? Il y a une seule réponse qui n’est d’ailleurs pas logique : une substance est dopante car elle figure sur la liste des produits dopants, c’est juste ça ! Prenons un exemple : on interdit dans des sports telle que le tir, le tir à l’arc ou le ski acrobatique les bêtabloquants car ces médicaments vont diminuer les battements cardiaques et ont donc un effet anti-stress. C’est donc un produit qui est sur la liste mais uniquement pour ces sports-là. Or les anxiolytiques diminuent également le stress et ses produits qui sont énormément employés dans le sport mais ils ne sont pas considérés comme dopants car ils ne sont pas sur la liste, tout simplement. Ils ne sont pas sur la liste alors qu’ils ont exactement les mêmes effets que les bêtabloquants (sur l’effet anti-stress). C’est purement anormal car les anxiolytiques devraient également faire partie de la liste. À l’époque, j’avais fait remonter l’information à L’AMA qui ne l’a pas du tout prise en compte. En fait tout découle de la liste de l’AMA concernant quels produits apportent des atouts ou non d’un point de vue légal.

Je vous cite cet exemple des bêtabloquants et des anxiolytiques car la testostérone fait également partie de cette liste de l’AMA et donc en l’occurrence dès qu’on a un excès de testostérone (synthétique) on est donc déclarés positifs. Or comme on l’a dit avant, dans le cas des ovaires polykystiques qui ont un T/E supérieur à 6, on fait un test pour savoir si l’apport de la testostérone est endogène ou exogène et dans leur cas le produit revient endogène. Du coup les athlètes présentant le syndrome des ovaire polykystiques ne sont pas sanctionnées par cette liste. C’est ça le problème, c’est que dans la lutte antidopage actuelle il n’y a pas de logique humaine, il y a une logique mathématique et de droit et ça c’est un problème, je vous le dis en tant que médecin. Ainsi les syndromes polykystiques passent les tests sans problème, on ne se pose même pas la question. Pour le syndrome ou d’autres perturbations hormonales, on ne se pose pas la question. On se dit juste qu’elles ont un excès de testostérone endogène et c’est tout.

 

A.R : Du coup dans ce cas-là, toutes les athlètes HA pourraient concourir ?

 

V.L : Il y a une question de taux, c’est vrai que les athlètes HA ont un taux de testostérone qui est en général supérieur aux filles qui ont des perturbations hormonales. Même si je n’ai pas d’informations, je pense qu’au niveau de l’AMA concernant les HA, il y a eu des histoires politiques. Des histoires politiques qui ont dénoncé ces faits-là. Mais ce n’est pas logique car c’est exactement le même processus.

 

A.R : Pour revenir sur le test de féminité, quel est votre avis sur le fait de tester la féminité d’athlètes à partir du moment où il y a un doute visuel ? Pour vous, ce test est-il nécessaire au respect de l’équité sportive ? Qu’en est-il de l’éthique de ce test ?

 

V.L : Alors ça dépend des visions. En tant que médecin, on peut le voir juste comme un acte médical. Je sais que les féministes, les sociologues disent qu’on ostracise le droit à être femme. Personnellement, je ne pense pas. J’ai fait 9 ans de contrôle antidopage et il était marqué dans les préconisations que lorsqu'on rentrait dans les toilettes avec les athlètes, il fallait vérifier que c’était bien un homme ou une femme. Pourquoi ? Car tout simplement il y avait des hommes qui faisaient croire qu’ils étaient des femmes et qui allaient gagner des courses alors que c’était des hommes et qu’ils avaient donc des taux de testostérone qui pouvaient les avantager dans certains sports. Quand on voit les choses du côté médical et c’est uniquement ce côté qui est pris en compte car je ne vois pas l’intérêt de discriminer les femmes. Après cela ne reste que mon avis de médecin.

 

A.R : Justement c’est très bien d’avoir un avis de médecin sur le sujet, ça nous permet d’avancer énormément ! Dans le sport et depuis tout à l’heure on parle de sanction d’atouts, comment vous positionnez-vous à propos des atouts physiques ou métaboliques qui existent dans le milieu sportif mais qui contrairement à ces taux de testostérone ne sont pas sanctionnés.

 

V.L : Alors on en revient à la question de tout à l’heure. À vrai dire ce que j’en pense tout le monde s’en moque parce que dans la lutte antidopage, que ce soit national ou international, tout en revient à un fait de base qui est la liste des produits dopants dont on ne peut rien changer. C’est vrai que les gens qui ont des plus longues jambes que les gens qui ont des jambes courtes seront avantagés dans certains sports, les jockeys qui sont maigres naturellement etc. Tout simplement, il existe des avantages physiologiques sauf que ces avantages physiologiques ou métaboliques ne font pas partie de la liste des produits dopants. Ce n’est pas juste ! Pourquoi on ne mettrait pas les longues jambes dans les produits dopants ? Ce serait plus logique mais ils ont décrété des procédés dopants et des substances dopantes qui sont marqués très clairement sur cette liste. Chaque année au mois de janvier, cette liste est légèrement modifiée et c’est la liste qui fait foi. Et tout ce qui n’est pas sur la liste ne compte pas, comme avec l’exemple des anxiolytiques qui devraient faire partie de la liste car ils procurent un avantage très clair à des sportifs qui les utilisent tranquillement mais qui ne sont pas marqués sur la liste. Donc ils peuvent se bourrer autant qu’ils veulent d’anxiolytiques, ils ne seront jamais contrôlés positifs. C’est très restrictif comme procédé mais c’est au niveau de l’AMA qu’il faudrait changer ça ou au moins y réfléchir.

 

A.R : Cette liste est basée sur quels critères ?

 

V.L : Ah ça c’est une grande question ! En théorie c’est l’AMA qui décide mais lorsque l’on demande on n’obtient jamais de réponse. L’un des soucis c’est la proximité de l’AMA avec le CIO, avec les grandes firmes internationales etc. C’est ça le problème car normalement en théorie ce sont des produits qui confèrent un avantage, qui peuvent être remplacés par un autre produit et qui amènent donc une augmentation de la performance chez les sportifs.

Sauf qu’étant donné qu’on ne peut jamais avoir d’explications ou même de sources au niveau des études qui sont mobilisées et qu’il existe cette proximité qui est un peu gênante quelque part, la partie politique reste énormément présente dans le sport.

 

A.R : En effet on voit que la proximité de toutes ces instances peut poser des problèmes d’objectivité. 

 

V.L : En tout cas pas transparent.

 

A.R : Sachant cela, qu’est-ce que vous pensez des différentes catégories dans le sport et de cette règle selon laquelle on doit faire une catégorie masculine et une catégorie féminine en ne prenant en compte que la différenciation avec les critères de dopage ?

 

V.L : Oui c’est une grande question car ce serait éventuellement la solution pour les cas de HA. Je pense que la catégorisation a été arbitrale. Les premiers jeux qui ont été fait avant Coubertin, la femme était un sous-être et donc n’était pas présente et n’avait pas le droit de participer, la compétition était purement masculine. Ensuite avec Coubertin ça a été la même chose, il a fallu attendre Alice Milla pour que la femme commence à essayer de jouer des coudes pour rentrer. Par conséquent, tout a été fait pour les hommes, le monde du sport a été fait pour les hommes, depuis toujours et donc on ne s’est jamais posé la question du sexe féminin et donc vous imaginez bien qu’on s’est encore moins posés la question des intersexes, des HA etc. Et maintenant que les femmes sont rentrées dans le milieu du sport, voilà.

 

A.R : Du coup, dans la catégorie masculine, à part dans les cas de dopage et de testostérone exogène, on ne se pose pas la question des taux endogènes et de ce que ça pourrait changer ? 

 

V.L : Ah oui je suis complétement d’accord avec vous ! Là je pense personnellement que c’est juste une cause discriminante. En même temps on ne se pose pas la question et en même temps si on se la posait qu’est-ce qu’on pourrait répondre ? On répondrait encore la même chose que pour les pathologies hormonales que la testostérone n’est pas exogène et que donc il n’y a pas de problème. Cela reste une question de endogène/ exogène.

 

A.R : On connaît la différence d’action pour cette testostérone si elle est endogène ou exogène ?

 

V.L : Elles ont exactement les mêmes effets c’est pour ça qu’ils prennent de l’exogène. Dans le cas des pathologies si on prend un homme XXY, il aura de l’embonpoint, des seins naissants, une petite verge, tous les signes masculins sont diminués et donc s’il veut avoir des enfants ou une activité sexuelle normale il faut qu’on lui donne de la testostérone mais dans ce cas-là c’est pour contrer un déséquilibre hormonal. Juste pour vous dire que la testostérone exogène amène exactement les mêmes effets.

 

A.R : Vous pensez que faire des nouvelles catégories sportives ou des épreuves mixtes serait pertinent dans le monde sportif ?

 

V.L : Il faudrait en effet y réfléchir. Je pense qu’il faudrait se mettre autour de la table avec des gens de terrain, avec des scientifiques, des sociologues et y réfléchir. On en parle beaucoup au niveau du CIO, cela pourrait être une solution. Peut-être qu’en y réfléchissant on trouverait même d’autres solutions mais pour l’instant ça n’a pas été fait.

 

A.R : On commence à en entendre parler des épreuves mixtes dans quelques sports.

 

V.L : Oui ça reste encore minime mais il faudrait qu’on s’attelle vraiment à la tâche et qu’on réalise des tests, de vraies études pour vraiment y réfléchir.

 

A.R : C’est très intéressant en tout cas d’avoir votre avis sur le sujet car cela reste très flou encore pour le moment. David, veux-tu ajouter quelque chose ?

 

D.H : Vous disiez que vous étiez contre le traitement hormonal ?

 

V.L : Ah oui ça c’est sûr il y a aucun doute à avoir, ça détruit des équilibres physiologiques et ça entraîne des problèmes de santé.

 

D.H : Vous pensez justement que ces tests de « féminité » pourraient avoir un impact psychologique sur les athlètes ?

 

V.L : Oui tout à fait, les hormones ont des impacts à tous les niveaux que ce soit physiologiques ou psychologiques.

 

A.R : D’ailleurs, on n’a pas parlé de l’effet psychologique de la remise en question du sexe en général. Qu’en pensez-vous ?

 

V.L : Oui ça c’est sûr, c’est très déstabilisant chez les sportives car elles ne savent pas si elles vont pouvoir concourir dans leurs catégories. Je ne sais pas ce qui est le plus déstabilisant mais ça l’est.

 

A.R : Quel est votre avis sur le fait que les athlètes HA puissent concourir ou non dans les compétitions internationales ?

 

V.L : De toute manière elles n’ont pas le choix elles doivent se conformer à la loi. C’est ça le problème, personne ne peut déroger à cette loi. C’est pareil que la liste on ne peut rien y faire.  La lutte antidopage ce n’est qu’une question de droit ! Ce n’est pas une question d’éthique ni une question de santé même si on évoque ces sujets, cela reste de la poudre de perlimpinpin. Ce n’est qu’une question de droit et de commerce.

 

A.R : Le droit est-il éthique dans ce cadre ? Si la loi préconise cela, est-ce éthique ? Dans quel cadre pouvons-nous demander révision de ces lois ?

 

V.L : Non pas du tout, c’est justement la différence entre morale et éthique. C’est très clair mais là il faudrait changer les choses en profondeur. Il faut qu’il y ait des groupes qui continuent à pousser et qui demandent le changement et surtout des groupes d’influence sinon ils ne sont pas écoutés. Il faut demander des revalorisations des lois. Il y a beaucoup de politique dans le sport. C’est le problème.

 

D.H : Justement ça pose la question de savoir s’il est légitime d’interdire à une athlète de concourir si elle refuse un traitement hormonal qui pourrait potentiellement la toucher ?

 

V.L : Je suis complétement d’accord, au niveau de l’éthique c’est anormal mais au niveau du droit c’est normal. C’est justement ça le problème. Parce que nous médecins quand on prête serment on jure de ne pas faire souffrir et là on fait souffrir très clairement. Il faut y réfléchir et faire des groupes de travail et avoir la volonté d’un politique d’organiser ces groupes de travail. Ce n’est pas avec le ministère des sports actuel que ça va bouger les choses et pour le TAS et le CIO il faudrait des contre pouvoirs de poids.

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